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L'historien Fabrice Langrognet signe "Voisins de passage - Une microhistoire des migrations" aux éditions La Découverte. (LA DECOUVERTE)
Dans un ouvrage savamment documenté, l'historien Fabrice Langrognet propose une réflexion inédite sur le parcours de milliers d'individus dont la Plaine-Saint-Denis n'était pas le lieu de naissance, entre 1882 et 1932.
Voisins de passage - Une microhistoire des migrations de Fabrice Langrognet, publié aux éditions La Découverte, est le document idéal pour approcher les individus au cœur des questions migratoires, instrumentalisées aujourd’hui dans le débat politique français et européen où elles suscitent passion, friction et dérives de toutes sortes. Comme dans un film, l’universitaire nous transporte à la Plaine-Saint-Denis, au 96-102 avenue de Paris (qui change de nom en 1919 pour devenir l’avenue du président Wilson), entre 1882 et 1932, période durant laquelle interviendra un conflit majeur, la Première Guerre mondiale. La Grande Guerre aura un impact considérable sur les mouvements de ces migrants-locataires auxquels l'ouvrage est consacré. Le terme de "migrant(e)" désignant "toute personne qui n’est pas née dans la commune où elle réside". À la Plaine-Saint-Denis, "comme il y a 100 ans", les migrants sont encore majoritaires.
Au total, 4 845 personnes ont vécu à cette adresse sur ces cinq décennies auxquelles s'est intéressé Fabrice Langrognet, qui donne à voir le décor de ce livre documentaire. À l’époque, les sommiers étaient badigeonnés à "l'essence de térébenthine pour se prémunir des punaises", ces insectes qui ont fait un fracassant retour dans l'actualité l'été dernier. L'historien permet au lecteur de connaître presque intimement tous ces locataires de passage, issus du monde agricole et désormais employés dans l'industrie, notamment dans la verrerie Legras, à proximité de l'immeuble. On sait à quoi ils ressemblaient et on connaît même leur état de santé, peu reluisant puisque "l'âge moyen au décès" était de 24 ans sur la période concernée. En cause notamment une mauvaise alimentation et de rudes conditions de travail : les accidents de travail étaient d'ailleurs "plus fréquents" que les maladies. La vie est donc dure, avec de mauvaises rémunérations et face à des loyers élevés, l'endettement est un phénomène récurrent.
Compagnons de galère
La précarité est à tous les étages, davantage quand on est une femme, pour ces personnes originaires de plus de 1000 localités réparties dans 21 pays. La proportion de ceux qui sont "nés à Saint-Denis ne dépassa jamais 25%, et ces natifs étaient pour l'essentiel des enfants de migrants". Dans cet immeuble, tour à tour, Alsaciens et Lorrains (1882-1898), Italiens méridionaux (1898-1908), Espagnols (1908-1914), déplacés et réfugiés de la Grande Guerre, Européens de l'Est (1918-1932) et beaucoup d'autres encore se croisent allègrement. On y rencontre ainsi Luigi (plus tard Louis) Pirolli, né en 1886 dans une "contrée reculée (...) à mi-chemin entre Rome et Naples" qui se retrouve à 15 ans au numéro 100 de l'avenue de Paris à la Plaine-Saint-Denis en 1901. On croise également le Lorrain Victor Spreisser, 23 ans, un 27 mai 1899, sous un ciel gris... Langrognet offre ainsi une galerie de personnages, qui incarnent l'expérience migratoire à la fois dans sa singularité et dans une dimension plus universelle.
Et pour cause, pour reconstituer le parcours de ces milliers de femmes, d'enfants et d'hommes, Langrognet a choisi l’approche de la microhistoire, "qui permet de saisir, aussi finement que possible, les nuances et hybridations des sociétés d’autrefois". Un parti pris rare compte tenu du fait que cette approche nécessite l'exploitation de ressources particulières, comme les archives policières et judiciaires, et est devenue plus aisée grâce à "de nouveaux outils numériques qui facilitent la recherche d’individus particuliers dans les sources historiques".
Couverture du livre "Voisins de passage - Une microhistoire des migrations" de Fabrice Langrognet (LA DECOUVERTE)
Des schémas identitaires forgés par les institutions publiques
Dans Voisins de passage, on retrouve évidemment des éléments déjà connus sur les mouvements migratoires, comme leurs causes souvent économiques. Mais on y découvre surtout la façon dont les institutions publiques, notamment pendant la guerre, n'ont eu "de cesse de forger, entre les locataires, des différences de nationalité et de citoyenneté". D'autant que dans le quotidien, "les identifications fondées sur l'origine restèrent dominantes dans les interactions positives de nombreux migrants de l'immeuble" et que "leurs quelques antagonismes intergroupes", d'après les sources disponibles, furent "majoritairement motivés par des facteurs non ethniques".
Le livre de Fabrice Langrognet rappelle que la conjoncture politique est déterminante dans la place des migrants dans une société. Il conforte également dans l'idée que la préférence nationale est davantage un argument économique et que les mécanismes à l'œuvre dans les migrations conduisent souvent à être l'étranger d'un autre migrant, au regard de la position occupée dans le temps et dans les différentes vagues migratoires. "À l'heure où les migrations et la diversité culturelle suscitent des réponses toutes faites (...), les recherches qui promeuvent la nuance et le discernement sont peut-être plus nécessaires que jamais", plaide le chercheur à l'université d'Oxford et au Centre d'histoire sociale des mondes contemporains de l'université Paris 1. Un propos qu'il illustre avec son éloquent ouvrage, futur scénario possible pour des cinéastes et des créateurs de séries intéressés par certains aspects de la question migratoire. Tant son récit est vivant et au plus près de ces hommes et femmes exerçant leur droit à améliorer leur quotidien et ne se laissant entraver par aucune frontière. Encore plus quand il s'agit du mouvement permanent de l'humanité.
"Voisins de passage - Une microhistoire des migrations" de Fabrice Langrognet (La Découverte, 368 pages, 24 euros) Extrait :
"Au début du XXe siècle, les locataires des n°s 96-102 n’avaient pas grand-chose dans leur portefeuille. En plus de quelques billets de banque, les hommes adultes emportaient parfois avec eux leurs papiers militaires, mais peu d’autres documents. Les femmes n’avaient souvent aucun papier officiel, à l’exception des tickets de pain quand la famille avait droit à une aide alimentaire. Les cartes d’électeur (des hommes) étaient généralement laissées à la maison, tout comme les quittances de loyer, les diverses cartes de membres de sociétés, les timbres-poste, les reconnaissances du Mont-de-Piété et les très rares livrets de caisse d’épargne. Les étrangers, eux, avaient quelques papiers de plus, comme des actes de naissance ou des feuilles d’immatriculation."
Source: Franceinfo
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